En Haïti, le système scolaire est nettement dominé par le secteur privé. Seulement 23% des ressources proviennent d'investissements du secteur public. La structure de l'école haïtienne était, jusqu'en 1980, calquée sur l'école française des XVIIe et XVIIIe siècles. En 1980, une réforme s'est amorcée pour modifier les ordres d'enseignement et ainsi que les programmes.
Haïti est le pays des Caraïbes qui "produit" le plus de personnes handicapées visuelles. La moitié des personnes aveugles des Caraïbes se trouve à Haïti : sur une population de 7 millions, on recense 80 000 personnes handicapées visuelles, dont 12 000 à 15 000 enfants d'âge scolaire.
De ces enfants, à peine 100 fréquentent les établissements scolaires, dont 70 l'école primaire Saint-Vincent, une école spécialisée pour les enfants souffrant de déficiences de tous ordres. Mais, depuis 1987, on remarque un mouvement vers l'intégration dans la société. Une trentaine de jeunes ont été orientés vers l'école ordinaire.
En 1995, Haïti vit une grande première : un premier jeune aveugle est intégré dans une université ordinaire, à la faculté de droit.
Pour poursuivre sur cette lancée, Haïti devra relever de grands défis en ce qui a trait à la consolidation d'une école spécialisée, la formation de spécialistes, notamment pour les mathématiques, le développement de matériel spécialisé. Elle devra ensuite se donner un cadre d'organisation pour soutenir l'intégration scolaire.
Par ailleurs, l'avenir d'Haïti doit toujours être envisagé en fonction de celui de la démocratie. Toutefois, les dirigeants scolaires demeurent optimistes, conscients de la nécessité d'implanter une scolarisation massive des jeunes handicapés visuels, à travers beaucoup d'efforts, de réflexion, d'initiative et d'esprit créateur. L'avenir appartient à ceux qui luttent. Le peuple haïtien est un peuple qui chante, un peuple qui danse. Mais c'est aussi un peuple qui lutte, - a déclaré le Dr Péan en concluant son exposé.
En France, l'histoire de la scolarisation des jeunes handicapés visuels est vieille d'un siècle. En effet, la première école publique spécialisée a vu le jour voilà 100 ans et un certain nombre d'autres écoles, cette fois-ci privées, sont apparue dans différentes régions de la France, la plupart tenues par des communautés religieuses.
Tout au long de cette grande histoire, la clientèle scolaire s'est transformée. Il y a trente ans, on croisait dans ces écoles un quart d'élèves amblyopes pour trois quarts d'élèves utilisateurs de braille. Aujourd'hui, on constate le contraire; 75% d'amblyopes et 25% de braillistes.
Au plan du système scolaire, la France ne possède toujours qu'une seule école nationale publique et plusieurs écoles privées sous la tutelle du ministère du Travail et des Affaires sociales. Cependant, certains enseignants relèvent du ministère de l'Éducation, ce qui crée une situation "on ne peut plus complexe", de dire M. Cierco.
Une grande transformation, en 1975, oblige les établissements scolaires à scolariser les personnes handicapées et à développer le mouvement d'intégration scolaire. Depuis 1988, des textes officiels réexpliquent l'organisation de l'enseignement aux élèves handicapés visuels. Avant, on assistait parfois à de l'intégration sauvage, tandis qu'aujourd'hui, un cadre oriente cette action.
Les normes d'organisation définies dans ce cadre, appelé Annexe 24, se répartissent comme suit : une section sur l'éducation spécialisée, une section sur les handicaps associés, une section sur la formation professionnelle, une section sur deux services de soutien à l'intégration (soutien à l'école ordinaire et technique, aide aux familles et éducation précoce). En 1988, le législateur a eu la volonté très forte de permettre à l'enfant et à sa famille une meilleure intégration scolaire, dans une optique de réussite.
En France, on pense que 10% à 15% des élèves handicapés visuels sont intégrés. Mais on ne peut s'appuyer sur aucune statistique officielle pour le moment. Les difficultés rencontrées ont trait au soutien pédagogique pour les élèves intégrés dans les écoles de villages. Les enseignants passent trop de temps sur la route, note M. Cierco. Les autres problèmes touchent la transcription braille des manuels scolaires (10 manuels peuvent être utilisés pour un même niveau d'enseignement), l'adaptation des figures et graphiques, l'accessibilité aux aides informatiques (coût important pour les parents). L'Institut National des Jeunes Aveugles (INJA) réalise de gros efforts dans ce domaine. Cette école nationale met à la disposition des enseignants, des parents et des élèves une base de données sur la production du matériel en braille et autres modes alternatifs.
En ce qui concerne l'éducation des jeunes enfants handicapés visuels en République du Mali, il n'existait avant les années 70 ni structure ni organisation capable de prendre en charge ce domaine. L'aveugle en général, et le jeune enfant en particulier, n'avait pas accès à l'éducation et était pratiquement exclus. C'est donc pour remédier à ces lacunes qu'en 1972, a été créé l'Association malienne pour la promotion sociale des aveugles. Elle s'est donné comme objectifs la prévention de la cécité, la scolarisation des jeunes aveugles et l'intégration socio-économique des aveugles en milieu rural et urbain.
C'est en 1973 que fut inauguré la première classe expérimentale avec six jeunes handicapés visuels. Ce début a été très difficile, puisque c'est la première fois qu'on conduisait de jeunes aveugles à l'école. Cette classe portera ses fruits, puisqu'à partir de cette expérimentation, on fonde l'Institut des jeunes aveugles. Par la suite, cet Institut élargit son champ d'action et s'ouvre à la rééducation des adolescents et des adultes ayant perdu la vue. Cet Institut devient L'Institut national des aveugles du Mali.
Actuellement, cet établissement regroupe neuf classes. Les élèves sont admis dans un système résidentiel et sont entièrement pris en charge par l'Association, laquelle devient en 1984 l'Union malienne des aveugles.
De 1973 à nos jours, plus de 300 élèves handicapés visuels ont fréquenté l'Institut National des Aveugles du Mali à Bamako. En 1983, une nouvelle école était inaugurée dans le nord du pays. Au cours de l'année 1995-96, l'Institut a encadré 92 élèves internes et 50 élèves intégrés. L'expérience malienne obtient des résultats scolaires très satisfaisants. Plusieurs états voisins s'inspirent de cette expérience et y délèguent du personnel pour recevoir de la formation. Plusieurs élèves sont devenus des cadres du pays (magistrat, professeurs, kinésithérapeute, etc.). D'autres exercent un métier : tisserand, fabrique de craie et de brosses, etc. L'essentiel des cours se fait en braille. Le matériel didactique très réduit se résume essentiellement à la tablette et au cubarithme; la machine à écrire en braille est encore considérée comme un luxe. Les méthodes d'enseignement de base pour les élèves de basse vision y sont très peu pratiquées. On souhaite cependant développer ce domaine, grâce à la collaboration de partenaires étrangers.
Les services d'adaptation de matériel scolaire sont encore embryonnaires. On dispose pour l'instant d'une polycopieuse thermoforme et de quelques Perkins. Cependant, l'esprit d'engagement et le savoir faire du personnel enseignant du ministère de l'Éducation nationale arrivent très souvent à combler ce manque notoire de matériel et d'équipement.
Si en 1973, il n'était pas rare de rencontrer des parents qui cachaient encore leurs enfants aveugles en croyant que la cécité était une malédiction ou le fait d'un acte de sorcellerie, force est de constater qu'elle est aujourd'hui considérée comme un événement ordinaire faisant partie de la vie de tous les jours et qu'un enfant aveugle peut, malgré la cécité, accéder à la culture, à l'éducation, bref, être comme les autres, a conclu M. Maïga.
Pendant ce temps, au Québec, nous vivions de grands bouleversements dans le domaine de l'éducation.
Jusqu'en 1980, les jeunes élèves handicapés visuels sont regroupés dans des écoles spécialisées. La mise en place en 1976 de services gouvernementaux de réadaptation et, plus particulièrement, un an plus tard, du Programme d'attribution d'aides mécaniques, électroniques et optiques (AMÉO) constituent des éléments déterminants dans le processus d'intégration scolaire qui s'amorce alors, et en faveur duquel, bien des parents trouvent un grand soulagement. L'année 1978 consolidait encore cette nouvelle orientation avec l'entrée en vigueur de la Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées et la création de l'Office des personnes handicapées du Québec, dont l'un des mandats est l'intégration sociale des personnes handicapées. Encouragé par ce mouvement collectif, un groupe de parents fonde alors l'Association de parents d'enfants handicapés visuels, tandis que, grâce à des ententes interministérielles, des professeurs dits "itinérants" venant des écoles spécialisées commencent peu à peu à sillonner le Québec afin de faire profiter de leur expertise les écoles publiques qui s'ouvrent aux enfants handicapés visuels.
En 1981, un sommet socio-économique très médiatisé et l'Année internationale des personnes handicapées permettent de sensibiliser les autorités gouvernementales et l'opinion publique à la nécessité d'intégrer à tous égards les personnes handicapées. Il en résulte, entre autres, en 1984, une politique d'ensemble de l'OPHQ, dite "A PART ÉGALE..." En même temps, on intègre pour la première fois un enfant de cécité complète dans une école régulière.
Depuis 1988, les écoles spécialisées continuent, à travers une structure supra-régionale, d'assurer les services de soutien aux écoles régulières. Une nouvelle Loi sur l'instruction publique permet l'adaptation des services éducatifs aux élèves handicapés (gratuité du matériel scolaire et des appareils), encourage la participation des parents et la mise en place pour chaque élève d'un "plan d'intervention individualisé". D'autres outils contribuent à soutenir l'effort d'intégration scolaire des jeunes aveugles au Québec : ainsi, la mise en place d'une base de données sur le matériel adapté (CAMÉLIA), d'un centre de production braille de manuels scolaires ainsi que de services privés de production braille.
D'autres modèles d'intégration scolaire (services de soutien locaux et régionaux, services anglophones, etc.) se sont développés, afin d'offrir une scolarisation dans le milieu naturel de l'enfant. À la même époque, une première mondiale vient encore faciliter l'autonomie des jeunes aveugles du Québec : l'attribution de chiens-guides. Trois ans plus tard, la Fondation Mira, qui élève les chiens-guides et voit à la formation et à l'adaptation des maîtres nonvoyants, accueille son premier jeune élève de France.
Après cet exposé historique, M. Jean-Raymond Roy soulève les principales considérations qui incitent le mouvement associatif des parents à défendre l'intégration scolaire : il s'agit de maintenir l'enfant handicapé dans son milieu naturel, de le confronter à la "vraie vie", celle qui est la leur dès leur plus jeune âge. Il souligne l'avantage de "créer l'habitude" chez les enfants normaux de côtoyer en bas âge des personnes "avec des différences" et l'importance de permettre aux enfants aveugles de vivre l'expérience la plus normale possible, dans le but de les préparer à une meilleure contribution sociale par la suite. Quand un enfant handicapé s'intègre, de dire M. Roy, c'est aussi la société qui s'intègre avec lui.
Les revendications des parents dans ce domaine sont les suivantes:
Aujourd'hui, la grande majorité des élèves présentant une déficience visuelle sont intégrés : 87% au préscolaire, 76% au primaire et 62% au secondaire. La progression en ce sens depuis les années 80 reste constante; et les élèves handicapés visuels sont cinq à six fois plus nombreux à être intégrés en milieu scolaire local que les enfants présentant d'autres handicaps.
En dépit de tous ces acquis législatifs, structurels et organisationnels, la situation n'est pas parfaite. Les difficultés rencontrées sont davantage d'ordre fonctionnel : méconnaissance de la déficience visuelle, manque d'information sur les services spécialisés disponibles, retards dans la production braille en début d'année scolaire, inégalité entre les régions (tant pour la quantité que pour la qualité des services), attitude de certains professionnels, manque de concertation entre les ressources et les structures de distribution. Enfin, un nouveau problème s'est récemment ajouté aux précédents : les compressions budgétaires, qui affectent, notamment, le transport des élèves, le matériel et les services. On craint même que cette conjoncture défavorable n'entraîne une sorte de retour du balancier, compte tenu du faible taux de prévalence de la déficience visuelle et du peu de poids démographique qui en résulte. Déjà, les acquis sont difficiles à préserver, et beaucoup reste encore à faire, particulièrement au niveau des attitudes : voir d'abord la personne avant sa déficience demeure un défi!
Peut-être la rareté des ressources favorisera-t-elle, justement, dans un contexte de décentralisation des services, cette concertation souhaitée entre les professionnels et les structures. Plutôt que d'abdiquer et de se décourager, on choisira alors le partage.
M. Cayouette retrace à son tour quelques pages d'histoire, celle des écoles spécialisées et de l'alphabétisation des aveugles par le braille jusqu'en 1974, année où le Ministère de l'Éducation prend la responsabilité de scolariser tous les élèves. En 1975, l'Institut Nazareth et Louis-Braille se transforme en centre de réadaptation et l'école Nazareth et Louis-Braille devient une entité administrative relevant, comme toutes les écoles publiques du Québec, d'une commission scolaire. En 1986, cette école change de nom, pour s'appeler dorénavant École Jacques-Ouellette.
Depuis 20 ans, le Québec s'est engagé dans le mouvement collectif de l'intégration. Une mesure législative prescrit l'adaptation des services éducatifs aux élèves handicapés. Le droit aux services est réaffirmé et la participation des parents prend plus d'importance. Chaque commission scolaire doit établir des normes d'organisation. Actuellement, les commissions scolaires assurent des services à 750 jeunes québécois handicapés visuels de 5 à 21 ans (660 fonctionnellement voyants et 90 braillistes). En ce qui concerne les études supérieures, le niveau collégial compte 66 étudiants handicapés visuels, tandis que 137 fréquentent l'Université.
Le ministère de l'Éducation se donne pour mandat d'appuyer et de soutenir techniquement et financièrement les milieux d'intégration scolaire, tant au plan des services que de la formation et du perfectionnement. Dans cet ordre d'idées, M. Cayouette annonce la publication prochaine d'un programme d'enseignement du braille.
En terminant, l'animatrice de l'atelier invite tous les pays francophones de l'Union Mondiale des Aveugles à resserrer leurs liens, dans le meilleur intérêt des enfants handicapés visuels.
Élyse Laurin
Directrice générale
Association québécoise de parents d'enfants handicapés visuels (AQPEHV)
avec la collaboration de Guylaine Martin
(Québec)