Que faut-il entendre par prévention?
Dans un contexte de santé communautaire, la prévention représente et englobe toutes les activités médicales, biologiques, techniques, sociales et politiques qui visent à éviter des phénomènes sanitaires attendus (Jenicek et Cléroux, 1982). On distingue trois sortes de prévention :
Les optométristes, en général, interviennent au niveau de la prévention primaire et secondaire : en participant à l'éducation du public et en assurant le dépistage des maladies oculo-visuelles. Ils interviennent principalement sur la réduction des déficiences et incapacités visuelles par le biais de lunettes ou de lentilles cornéennes. La plupart du temps, les capacités visuelles sont entièrement rétablies par le port de la correction optique adéquate. La population visée est la population générale; toutefois, elle se réduit à celle qui veut bien se prévaloir de ces services. D'après des données américaines, environ 30% de la population utilise des lunettes ou des lentilles cornéennes à l'âge de 20 ans, le pourcentage atteint 90% à 60 ans.
Malgré la disponibilité des services en Amérique du Nord, des études récentes montrent qu'en général, une personne sur deux pourrait voir son acuité visuelle augmenter d'une ligne ou plus en changeant de correction optique (Baltimore Eye Survey, 1990). Ce pourcentage est probablement encore plus élevé dans les pays où les services sont moins disponibles.
À titre d'exemple, les étudiants de l'école d'optométrie de l'Université de Montréal participent chaque été à des stages dans les Caraïbes et en Amérique centrale. Cet été, trois groupes de cinq étudiants ont fait des séjours de quinze jours au Honduras et en République Dominicaine. Les stages au Honduras étaient organisés en collaboration avec le "Comité national pour la prévention de la cécité et la santé oculaire du Honduras". Au cours du séjour, plus de 2 000 personnes ont pu être examinées, et 1 800 paires de lunettes ont été distribuées. Tout en témoignant de manière subjective de l'importance du problème, ces chiffres ne peuvent servir à le quantifier, puisque ces populations ont été ciblées à l'avance et qu'un dépistage des besoins avait été préalablement effectué. Les équipements optiques qui sont distribués lors de ces interventions sont approximatifs, puisque provenant de lots de lunettes récupérées au Québec. Il est donc probable que les nouveaux propriétaires de ces lunettes connaissent une amélioration de leur acuité visuelle, sans toutefois atteindre leur capacité maximale.
Comme pour les chiffres exposés plus haut, il s'agit d'apprécier l'importance du gain d'acuité visuelle de manière relative. Toute la différence se situe entre le niveau d'acuité visuelle qui permet d'accomplir une tâche et le niveau optimal. Par exemple, on peut obtenir un permis de conduire de classe 5 (véhicule de tourisme) avec une acuité de 6/15 (20/50; 4/10) alors que l'acuité dite "normale" est 6/6 (20/20; 10/10).
Le rôle de l'optométriste dans le domaine de la réadaptation est de participer à la réduction des déficiences et des incapacités des personnes atteintes de déficience visuelle. Et en tant que chercheur, je m'intéresse, entre autres, à la question de l'accessibilité et au vieillissement de la population.
Un rapport récent du Conseil d'évaluation des technologies de la santé du Québec (CETSQ) a mis en évidence le manque de renseignements sur l'état de santé visuelle de la population québécoise. Les problèmes de santé visuelle sont pourtant fréquents. Ils sont pour la plupart chroniques et provoquent des déficiences et des incapacités qui ont un impact réel sur la qualité de vie des personnes atteintes. Les quatre causes principales de déficience visuelle en Amérique du Nord et en Europe sont les cataractes, la dégénérescence maculaire liée à l'âge, le glaucome et la rétinopathie diabétique. Les déficiences visuelles qui en résultent viennent au troisième rang des déficiences physiques qui affectent les personnes âgées - après les maladies cardiaques et l'arthrite. La prévalence dans la vie quotidienne d'incapacités visuelles déclarées varie entre 7,8% et 8,6% pour la population âgée de plus de 65 ans, et elle a été estimée à 2,4% dans l'ensemble de la population. Parmi les maladies oculaires qui causent la cécité et l'incapacité visuelle, certaines sont curables, comme les cataractes, et d'autres évitables, comme l'amblyopie et les traumatismes. Les déficiences visuelles pourraient être réduites dans 90% des cas de cataractes et évitables dans 50% des cas d'amblyopie et de traumatisme. L'évolution d'autres maladies, telles que le glaucome et la rétinopathie diabétique, peut être freinée ou stoppée, et ainsi prévenir la cécité totale qui pourrait en résulter. Pour le moment, il n'y a pas de traitement reconnu efficace contre la dégénérescence maculaire; les personnes atteintes, comme d'ailleurs un certain nombre de celles atteintes de glaucome ou de rétinopathie diabétique, ont alors besoin de services de réadaptation en vue de maintenir leur autonomie. L'absence de données québécoises rend difficile
l'évaluation des programmes actuellement en vigueur et nuit à la planification d'une politique de santé visuelle.
D'après les données de l'Enquête sur la Santé et les Limitations d'Activité (ESLA) de Statistiques Canada, il y aurait au Québec 61 200 personnes âgées de plus de 65 ans en milieu autonome qui déclarent des incapacités visuelles (8,5%). Cette enquête a pour but d'évaluer la prévalence de déficience visuelle qui correspond à ces incapacités, au moyen d'une étude de validation des questions de l'ESLA.
Méthode :
Les prévalences correspondant aux différents critères de déficience visuelle ont été calculées en utilisant la formule de Cochran (1977).
Résultats :
Conclusion :
Pour évaluer les prévalences de différents types de déficience visuelle, nous avons dû émettre l'hypothèse que la population étudiée était, a posteriori, un échantillon pondéré de la population de l'ESLA. Bien qu'il s'agisse de populations similaires quant à la présence de perte d'autonomie, la population de la présente étude n'a pas été sélectionnée de manière aussi systématique que celle de l'ESLA; par conséquent, l'existence de biais ne peut pas être rejetée. Cependant, les résultats de cette étude sont similaires à ceux d'autres études de prévalence de la déficience visuelle.
Une étude récente de Réjean Hébert à l'Université de Sherbrooke montrait que la présence de déficience visuelle ou de déficience auditive chez la personne âgée était un prédicteur de la perte d'autonomie et de l'éventuelle institutionnalisation. Les chiffres exposés plus haut démontrent qu'une grande partie des personnes âgées ayant des déficiences visuelles ne se prévalent pas des services offerts. Diverses hypothèses peuvent être invoquées pour expliquer ces résultats :
Ces constatations soulèvent beaucoup de questions, auxquelles je ne saurais apporter de réponses immédiates. Cependant, il est facile d'identifier les besoins d'information et d'éducation à combler chez les personnes âgées, leur entourage et les professionnels de la prévention primaire.
Jacques Gresset (OD, Ph. 1)
Professeur agrégé
Université de Montréal, École d'optométrie.
(Québec)