Les Actes du Forum de l'U.M.A. - Juin 1997

Table des matières

LES ATELIERS

Deuxième partie : Les grands défis

V. Prévention et diagnostic
Prévention de la cécité et dépistage des maladies oculaires dans les pays en voie de développement : le cas du Cameroun

Les maladies oculaires sévissent en Afrique intertropicale, et dans le Tiers Monde en général, dans des proportions que les pays développés sont loin d'imaginer. Elles prennent dans certaines régions l'aspect d'un fléau de première importance, dont les conséquences économiques sont incalculables, car elles entretiennent un cercle vicieux qu'il est difficile de briser. La pathologie oculaire, même si elle ne conduit pas à la cécité complète, diminue sensiblement le rendement au travail, ce qui se répercute sur l'économie. Une économie faible engendre la pauvreté et une hygiène insuffisante; elle entretient à son tour la mauvaise santé.

Quelles sont les raisons de cette importance quantitative et qualitative de la pathologie oculaire en Afrique intertropicale? Elles tiennent à trois facteurs :

  1. Des facteurs géographiques : Certaines affections ne sévissent qu'en zone intertropicale : c'est le cas de l'onchocercose, que l'on retrouve aussi en Amérique du Sud. D'autres affections prédominent dans cette zone, bien qu'on les rencontre ailleurs : c'est le cas du trachome et de la lèpre.
  2. Des facteurs éco-climatiques : L'influence du soleil, de la luminosité, du vent, de la poussière, de la trop grande sécheresse ou de l'humidité sur le développement de certaines affections oculaires est bien connue.
  3. Des facteurs socio-économiques : Ce sont les plus importants; ces facteurs sont la misère, la malnutrition, le manque d'hygiène, le manque d'information, l'ignorance, en fait, tout ce qui caractérise le sous-développement.

Au nombre de ces facteurs du sous-développement, il faut faire une place à part à la consanguinité, qui favorise bon nombre de maladies dégénératives. Aujourd'hui encore, on se marie non seulement dans la même tribu, mais dans le même village et dans la même famille, ce qui explique peut-être la fréquence des cataractes de type sénile, des glaucomes chroniques, des dégénérescences oculaires juvéniles, etc.

Le sous-développement explique aussi le trop grand nombre de traumatismes oculaires, au premier rang desquels se retrouvent les accidents de la circulation, qui reflètent la qualité de nos routes, la compétence insuffisante des conducteurs et le mauvais état du parc automobile. Les accidents domestiques et scolaires sont, eux aussi, trop fréquemment responsables de cécité.

Au Cameroun, les maladies oculaires les plus sévères sont le glaucome - qu'il soit chronique ou aigu -, l'onchocercose, les cataractes, les traumatismes oculaires et les dégénérescences oculaires juvéniles; les maladies bénignes, comme les kérato-conjonctivites et les uvéites, même si elles n'entraînent pas toujours la cécité, compromettent très souvent la vision de façon dangereuse, du fait de la négligence, du manque de soins, de la misère, bref, du sous-développement.

Comment peut-on faire face à ce grave problème que constituent la prévention de la cécité et le dépistage des maladies oculaires au Cameroun?

Beaucoup de Camerounais vivent encore en deçà du seuil de pauvreté. L'État lui-même est de plus en plus pauvre et ne peut plus jouer pleinement son rôle. Quant au taux de scolarisation, il est encore trop bas. Le recours au médecin qualifié est difficile dans la plupart des cas, du fait de l'éloignement et de la rareté des centres équipés, ainsi que du trop petit nombre d'ophtalmologistes. Il est donc nécessaire que l'on puisse, dans les villages les plus reculés, prodiguer les premiers soins en toute connaissance de cause, procéder aux gestes efficaces et s'abstenir, au contraire, d'actes dangereux; c'est ce que l'on appelle donner des soins de santé primaire.

Il faut donc nécessairement que, dans chaque village, il y ait quelques personnes compétentes et bien formées, capables d'instruire la population, d'offrir les premiers soins, de prendre les décisions salutaires, de soigner sur place ce qui peut l'être ou d'organiser l'évacuation vers un centre équipé, en cas de doute sur la gravité du cas.

Les mesures à prendre sont bien plus nombreuses et plus complexes que l'on a tendance à supposer, et plusieurs dépendent de l'État (scolarisation, entretien des routes, protection sociale, programme national de lutte contre la cécité...). Mais les organisations humanitaires conservent néanmoins toute leur raison d'être et peuvent se révéler très utiles, tant dans la formation des agents de santé que dans l'administration des premiers soins, à condition qu'elles soient elles-mêmes assistées par des âmes motivées.

S'il est impératif de soigner une maladie déclarée, il est bien plus important d'en empêcher l'apparition, ce qui évitera beaucoup de douleur et bien des dépenses inutiles.

Autre approche, non négligeable pour pallier ce fléau qui ne cesse de s'accroître au Cameroun, serait le construction dans les régions les plus touchées d'un ou deux centres ophtalmologiques bien équipés, sous l'égide de l'Association des Aveugles du Cameroun, afin de dépister et de soigner les personnes atteintes de maladies oculaires, de former et de sensibiliser l'opinion publique sur la gravité de ce mal.

Une fois réalisé, ce projet de nos rêves complétera les efforts du Gouvernement camerounais en matière de prévention de la cécité.

Paul Tezanou
Président
Association Nationale des Aveugles du Cameroun
(Cameroun)


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